Blockchain : Les banques ne sont toujours pas convaincues
⌚: 5 minutes
Si les banques ont commencé à déployer la blockchain dans certaines activités, une généralisation de cette nouvelle technologie dans le système bancaire paraît encore difficile à envisager en raison de ses capacités encore limitées pour gérer rapidement des volumes importants de données et de transactions.
Tout le monde s’accorde à dire que cette technologie de chaînes de blocs, qui repose sur la constitution d’un registre décentralisé permettant de garantir à tout instant la sécurité et la validation d’échanges de données et d’informations, recèle un important potentiel, notamment en matière de réductions de coûts dans les fonctions supports (« back office »).
Mais en raison des réglementations, comme en matière de lutte contre le blanchiment d’argent ou de confidentialité des données, ou des risques de réputation ou de cybersécurité, les banques continuent d’avancer prudemment sur le sujet. Elles cherchent aussi à s’épargner les foudres des régulateurs qui, pour bon nombre d’entre eux, ne voient dans les cryptomonnaies, friandes de blockchain pour se développer, que de simples actifs financiers purement spéculatifs.
« Aujourd’hui, pour les systèmes de transactions financières, avec des milliers d’opérations par minute ou par seconde, la technologie blockchain n’est pas encore adaptée », explique Thierry Bedoin, directeur de la transformation numérique de la Banque de France.
« Le temps nécessaire pour valider une opération sur une blockchain est relativement long. Même si elle a un fort potentiel, la blockchain a encore du mal à traiter de grandes volumétries de façon performante. Mais la technologie avance rapidement. »
Les grandes mutations du secteur bancaire français, selon l’ACPR:
« La blockchain est une technologie assez nouvelle, qui n’est pas encore mature. Nous n’avons d’ailleurs toujours pas vu de mise en production à grande échelle dans nos secteurs », analyse de son côté Jacques Levet, responsable du transaction banking pour la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique chez BNP Paribas.
« 2019 devrait être l’année de l’industrialisation avec un certain nombre de systèmes ‘live’. »
Selon une source proche du dossier, une banque française envisagerait prochainement de déployer la blockchain dans l’ensemble de sa banque de financement et d’investissement. Dans une étude publiée en mars 2018,l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a regroupé les usages possibles de la blockchain dans trois catégories: les processus internes, les processus partagés et les transactions.
Plate-forme blockchain dans l’interbancaire
Des initiatives et projets de Place existent néanmoins. Et certaines blockchains fonctionnent d’ores et déjà dans la sphère financière. La Banque de France a ainsi lancé fin 2017 le projet ‘Madre’ qui utilise la blockchain dans le système interbancaire pour permettre l’échange d’identifiants de paiements Sepa (single euro payments area) entre établissements bancaires. Des compagnies pétrolières, des sociétés de négoce et des banques ont aussi lancé en septembre dernier une plate-forme basée sur la blockchain pour effectuer des transactions sur le brut.
Nommée Vakt, cette plate-forme a été créée l’an dernier par les géants pétroliers BP et Royal Dutch Shell, le groupe énergétique norvégien Equinor, les sociétés de négoce d’énergie Mercuria Energy Group et Koch Supply and Trading, ainsi que Gunvor Group.
Les banques ABN Amro, ING et Société Générale figurent aussi parmi ses actionnaires.
« Le financement des matières premières est un secteur assez naturel pour y développer des blockchains privées car c’est un domaine où les banques ont l’habitude de fonctionner en ‘pool' », analyse Olivier Fliche, directeur du pôle Fintech-Innovation à l’ACPR. Mais les banques françaises ne sont pas encore mûres pour en généraliser l’utilisation dans l’ensemble de leurs activités.
« Grâce à notre première expérience Madre, nous avons pu nous familiariser avec la technologie blockchain pour un cas d’usage où elle est bien adaptée. Mais aujourd’hui, il est trop tôt pour envisager un projet de blockchain dans les infrastructures de marché », dit ainsi Thierry Bedoin.
« On reste dans un schéma où les acteurs se font confiance », poursuit Olivier Fliche à propos de Madre. « Ils se mettent d’accord sur une gouvernance dans laquelle les banques vont confier à la Banque de France le rôle qu’elle a toujours eu: contrôler et fiabiliser l’information contenue dans le registre distribué. » L’avenir de la blockchain dans l’univers bancaire dépend aussi du schéma de technologie choisi.
Les initiatives existantes privilégient en effet la technologie de blockchain privée réputée plus sécurisée et plus fiable que la blockchain publique qu’utilise notamment le bitcoin.
La blockchain, un « BUZZWORD »
« Actuellement, 90% de la réflexion des banques sur la blockchain relèvent du domaine de la blockchain privée », fait remarquer Olivier Fliche. « Les banques traditionnelles sont soumises à des contraintes réglementaires, notamment dans la lutte contre le blanchiment, et tiennent à leur réputation. Elles peuvent donc avoir quelques réticences à aller sur la blockchain publique. »
L’absence de cadre juridique et réglementaire clair autour de la blockchain peut aussi expliquer cette prudence des établissements financiers.
« Il faut faire attention à ne pas être pris dans l’engouement autour de la blockchain. Il ne faut pas mettre de la blockchain partout, il faut en mettre là où c’est utile », prévient Jacques Levet. « C’est actuellement un véritable ‘buzzword’ (mot à la mode, ndlr). Il ne faut pas se dire que cette technologie va tout résoudre. Ce n’est pas forcément la panacée. »
Fin octobre, une dizaine de banques, dont HSBC, Standard Chartered et BNP Paribas, ont lancé, avec le soutien de la banque centrale de Hong Kong, eTrade Connect, une plate-forme financière basée sur la blockchain qui permet de réduire les délais de traitement de demandes de prêts commerciaux.
« C’est une technologie qui présente un immense potentiel dans un nombre important d’activités bancaires comme le ‘trade’ (commerce international) ou le ‘cash’ (gestion de trésorerie) », explique Frédéric Levet. « Elle a notamment la capacité d’apporter de la transparence, de la sécurité, de la rapidité et de l’efficacité opérationnelle avec également à la clé des économies substantielles dans la réconciliation d’informations par exemple. »
En Chine, les autorités s’inquiètent des risques de bulle financière autour de la blockchain. Et la Banque populaire de Chine a ainsi relevé dans un rapport publié en novembre un certain nombre d’irrégularités dans les investissements et le financement liés à cette technologie.